28/09/2023
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Dans un paysage technologique en perpétuelle évolution, peu de secteurs demeurent à l'écart de la puissance transformatrice de l'innovation numérique et digitale. À l'avant-garde de cette révolution se trouve l'industrie Life Sciences, un domaine où la fusion de la biologie, de la technologie et du Data Science redéfinit les paradigmes des soins de santé, de la recherche et de l'interaction avec les patients. Avec la promesse d'une médecine personnalisée dite « Precision Medecine », d'une meilleure prise en charge des patients et de traitement optimisés et mieux prévisibles, la transformation numérique dans le Life Science annonce une nouvelle ère de possibilités.
Cependant, cette puissance transformatrice s'accompagne de défis considérables : un impact profond sur la dynamique des effectifs, l'évolution des rôles, l'émergence de nouvelles compétences requises et la nécessité d'équilibrer le contact humain avec l'efficacité numérique. Alors que les entreprises Life Sciences du monde entier sont confrontées à ces bouleversements majeurs, comprendre la trajectoire de ces changements devient primordial.
Pour éclairer cet entrecroisement complexe entre technologie et sciences de la vie, Anne-Sophie Nicolaï, Directrice chez Morgan Philips Executive Search Suisse, a eu le privilège de dialoguer avec Eric Lambert, Directeur Général de MedDevSolutions, qu’elle connait bien.
Eric, s’appuyant sur une formation médicale, pharmacie et marketing est fort d’une solide carrière dans le Life Science, avec deux décennies de leadership exécutif commercial et opérationnel dans l'industrie des sciences de la Vie. Eric nous offre une perspective inégalée sur la manière dont la transformation numérique façonne l'avenir du secteur. Outre ses succès commerciaux, Eric est au cœur aujourd’hui de l’exécution de stratégies en transformation digitale incluant le Real World Evidence and Data (RWE/RWD) et le Change management dans le but d’optimiser tous les maillons de la chaine du R&D à la vente dans le Life Sciences.
Au cours de cet entretien, Eric explore en profondeur les conséquences de cette refonte numérique, en clarifiant ses implications sur les métiers, l'émergence de nouvelles professions et l'évolution des postes traditionnels. Alors que nous sommes déjà engagés dans une renaissance numérique dans les sciences de la vie, cette conversation promet des éclairages précieux pour les professionnels, les organisations et l'ensemble des parties prenantes. Anne-Sophie décrypte avec Eric l'ADN numérique des sciences de la vie pour la décennie à venir.
Anne-Sophie : Tout d'abord, merci de ton temps pour discuter de ce tournant crucial dans le secteur des sciences de la vie. Fort de ta riche expérience, peux-tu nous esquisser brièvement la trajectoire actuelle de la transformation numérique dans l'industrie des sciences de la vie?
Eric : Avec plaisir. Le secteur des sciences de la vie traverse actuellement une véritable révolution numérique. Nous assistons à une transition significative des modèles traditionnels vers des approches davantage axées sur les données et favorisées par le digital. Cette transformation ne concerne pas uniquement la technologie ; elle vise à redéfinir la manière dont les entreprises fonctionnent, prennent des décisions et apportent de la valeur aux patients.
Anne-Sophie : C’est fascinant. Quand on regarde à cette évolution, comment la transformation numérique impacte-t-elle les métiers dans le secteur des sciences de la vie, à la fois actuellement et pour la décennie à venir ?
Eric : La transformation numérique bouleverse profondément le secteur des sciences de la vie. L'automatisation et l'IA se généralisent, automatisant certaines tâches répétitives, notamment en saisie de données et procédures allant jusqu’aux diagnostiques et suggestion de traitement.
Pourtant, là où certains postes se raréfient, de nouveaux besoins émergent. Moins de saisies manuelles pour les techniciens, mais une demande croissante pour des experts en données, IA, et stratégie numérique. De plus, avec l'évolution de la télémédecine, de nouveaux rôles voient le jour, centrés sur la surveillance à distance et la santé virtuelle. Dans la prochaine décennie, je prévois une croissance exponentielle de métiers comme les Consultants/Strategists en Santé Digitale, Data Scientists (ex. Analystes de Données Génomiques), Spécialistes AI/ML, etc… le tout supervisé par des Éthiciens de l'IA.
Anne-Sophie : Un nouveau monde… Quels nouveaux rôles prévois-tu du fait de cette transformation ?
Eric : Nous sommes à l'aube d'une ère où des métiers inédits vont surgir. Les Éthiciens en Santé Numérique garantiront une utilisation éthique des outils numériques en santé. Les Analystes de Données Génomiques, appuyés par l'IA, déchiffreront de vastes ensembles de données pour propulser la médecine de précision. Les Formateurs Médicaux et autres Clinical Support utiliseront la réalité virtuelle pour simuler des interventions ou des traitements, offrant une formation plus immersive ou des thérapeutiques mieux prévisibles en fonction du patient. On parle ici de Precision Medicine. De plus, l'émergence et la banalisation des objets connectés mettra en lumière les Spécialistes des Données de Santé Portables, le fameux Wearable. Enfin, des Experts en Intégration Digitale Cross-disciplinaire combleront le fossé entre biologie, science des données et technologies numériques.
Anne-Sophie : De profonds bouleversements sont à venir. Quels rôles risquent de devenir obsolètes ?
Eric : Les métiers ancrés dans des procédures manuelles ou des flux de travail isolés seront les plus impactés. Par exemple, la place des Techniciens se réduira probablement avec l'avènement des systèmes automatisés pilotés par Machine Learning. La saisie médicale pourrait devenir moins pertinente face à la documentation pilotée par l'IA. Toutefois, il est vital de saisir que ces métiers peuvent évoluer et s'adapter au nouveau paysage numérique.
Anne-Sophie : Comment envisage-tu la transformation des rôles existants pour s'adapter à ce nouveau contexte ?
Eric : La transformation numérique ne concerne pas seulement l'émergence de nouveaux métiers, mais aussi la réinvention des rôles actuels. Les Chercheurs Cliniques, par exemple, s'associeront de plus en plus à des data scientists pour tirer des insights des données d'essais cliniques grâce à l'IA. Les Pharmaciens pourraient évoluer en Consultants en Thérapeutiques Digitales, conseillant les patients sur les outils de santé numériques en parallèle des médications traditionnelles. Les Spécialistes des Affaires Réglementaires, quant à eux, devront maîtriser la conformité dans le domaine de la santé numérique, s'adaptant aux nuances des nouveaux SaMD (Software as a Medical Decice). Mais comme je l’ai plus tôt, il s'agit avant tout d'adapter et d'intégrer les capacités numériques aux rôles existants.
Anne-Sophie : Concernant les compétences, sur quoi les professionnels des sciences de la vie devraient-ils se concentrer ?
Eric : Il est impératif d'harmoniser compétences techniques et compétences humaines.
Techniquement, la maîtrise de l'IA, de la blockchain et de l'analyse des données est primordiale. Mais les soft skills, comme l'adaptabilité, la formation continue et la collaboration interdisciplinaire, prennent une importance capitale. Un chercheur doit non seulement maîtriser sa discipline, mais aussi comprendre comment la technologie peut booster ses recherches. La formation continue est donc de mise.
Anne-Sophie : Peux-tu nous donner un exemple concret de cette transformation déjà à l'œuvre ?
Eric : Absolument. Prenons Roche, qui a déjà intégré l'IA dans ses processus de découverte et de développement de médicaments, et ce à toutes les étapes, incluant les essais cliniques. Au-delà de la technologie, ils ont réorienté et formé leur personnel existant pour collaborer efficacement avec les spécialistes en IA. Medtronic est un autre exemple frappant, ayant adopté l'IoT pour surveiller à distance leurs patients en Cardiologie ou Neurologie. N’oublions pas Abbott qui se présente comme le leader de demain dans la gestion numérique des patients diabétiques. Ces initiatives illustrent que la transformation numérique est une réalité palpable et présente.
Anne-Sophie : D'un point de vue RH, comment les entreprises devraient-elles aborder cette transition pour assurer une transition fluide pour leurs employés ?
Eric : il est primordial d'adopter une approche prévoyante et inclusive. Pour assurer une transition en douceur, les entreprises doivent instaurer des programmes de formation continue, permettant aux employés de s'adapter aux nouvelles technologies et méthodes de travail. Investir dans la montée en compétence du personnel est essentiel. Il est également bénéfique de mettre en place des programmes de mentoring, où les professionnels aguerris peuvent guider les plus jeunes ou ceux venant d'autres domaines technologiques, favorisant ainsi une « pollinisation » croisée des compétences. Les ateliers de Change Management peuvent également être utiles pour anticiper et gérer les résistances inhérentes à tout changement majeur. De plus, il est crucial de cultiver une culture d'innovation, où les employés sont encouragés à expérimenter, innover et partager leurs connaissances. En somme, une approche proactive, axée sur l'employé, qui garantit que la transformation soit perçue non comme une menace, mais comme une opportunité d'évolution et de croissance professionnelle.
Anne-Sophie : Eric, avec toute l'expérience que tu as accumulée, quel conseil donnerais-tu à une entreprise sur le point d'entamer sa transformation digitale, en particulier dans le domaine des sciences de la vie?
Eric : C'est une question pertinente pour conclure. Mon conseil serait simple, mais essentiel : n'oubliez jamais que la transformation digitale, au cœur de son essence, est une affaire humaine. La technologie est un outil, certes puissant, mais elle ne remplacera jamais l'ingéniosité, la passion et l'adaptabilité humaines. Dans le domaine des sciences de la vie, où l'enjeu est la santé et le bien-être des individus, cette dimension humaine prend encore plus d'importance. Avant de plonger dans les dernières innovations technologiques, assurez-vous que votre équipe est alignée, engagée et prête à s'adapter. Écoutez-les, formez-les et soutenez-les. Parce qu'au final, ce sont les personnes qui rendent la transformation non seulement possible, mais aussi significative. Voilà l'essence même de mon parcours et la leçon que j'aimerais transmettre à la prochaine génération de leaders dans notre industrie.
"Eric Lambert: elambert@meddevsolutions.com"