16/11/2023
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Dans le cadre de ses activités de conseil, Marion Amacker, Associate Director Hospitality & Luxury au sein de Morgan Philips Executive Search en Suisse a interviewé Patricia Lemattre Stoeckel, Managing Director Veepee : executive agile au profil résolument orienté vers les problématiques de transformation digitale et de leadership, Patricia nous livre aujourd’hui ses réflexions et son retour d’expérience sur le management agile au service de la créativité et de l’adaptabilité.
Marion : Tout d’abord, merci de votre temps Patricia pour échanger sur un sujet à la fois d’actualité et pourtant encore galvaudé. Pouvez-vous déjà nous dire ce qu’est l’agilité pour une entreprise ?
Patricia : Oui, depuis quelques temps, on voit fleurir dans les médias et dans les titres de conférences le terme « agilité ». Et pourtant, à ce jour, même si chacun peut assez facilement y projeter ses propres images, aucune véritable définition de cette expression n’a émergé unanimement quand on évoque l’organisation agile.
Basiquement, l'agilité désigne à la fois la capacité à se mouvoir avec légèreté et souplesse et la vivacité intellectuelle d'un individu. Transposé dans le milieu professionnel, être agile, c'est savoir accepter les changements, quels qu'ils soient (stratégiques, opérationnels ou humains), adopter une posture ouverte, s'adapter rapidement et aisément, composer avec un événement incertain et imprévisible. Cela suppose des notions de rapidité, de vivacité, d'aisance. Mais cela suppose également de valoriser les collaborateurs.
Ainsi je dirai qu’une entreprise agile est une « entreprise capable de mobiliser son intelligence collective pour créer de la valeur et évoluer de façon itérative et en continu, avec une économie de moyens, et en créant les conditions d’épanouissement de ses collaborateurs ».
Marion : Cela parait séduisant, et en effet cette notion d’agilité englobe beaucoup plus qu’un « simple style » de management. Mais alors comment devient-on une entreprise agile ? Comment faire émerger l’agilité au sein de l’organisation, du management et des collaborateurs ?
Patricia : Cette agilité s’apprend, s’exerce et se cultive. Il s’agit avant tout d’un souhait que de devenir agile : il faut instaurer un mindset ouvert et une culture qui prône les valeurs de l’agilité et de ses corollaires. On parle ici de réactivité, de prise de décision rapide, de flexibilité, d’adaptabilité, d’intelligence collective des équipes, ainsi que de travail collaboratif et d’interaction. Le degré d’agilité dans une organisation peut aller loin : aujourd’hui de plus en plus d’entreprises bannissent les titres – il n’y a plus de hiérarchie et on distingue les rôles par l’expertise et la valeur ajoutée.
Le manager, pour être agile, doit s'adapter aussi pour favoriser la responsabilisation des collaborateurs, accepter le droit à l'erreur (fondamental), promouvoir la prise de risques, développer la force créative et l'innovation et encore instaurer la confiance et la communication transversale et transparente.
Un contexte de transparence, de feedback, d'autonomie, de confiance, de sécurité psychologique est indispensable pour évoluer dans une entreprise agile.
Et cela est transposable dans toutes les entreprises. L’agilité c’est un défi culturel.
Marion : Patricia, avez-vous un retour d’expérience à partager ? Quels sont les facteurs clés de succès ou les pièges à éviter ?
Patricia : Tout d’abord, il faut accepter qu’il s’agisse d’un processus de transformation qui prend du temps. Ensuite il convient de comprendre qu’il n’y a pas une seule façon de faire : il faut adapter le style de management à votre culture.
Concrètement, voici quelques pistes que j’ai pu mettre en place et qui favorisent l’agilité dans votre organisation :
- Casser la verticalité et les échelons dans l’organisation, aplatir la hiérarchie et distribuer le pouvoir de décision pour créer la participation, l’engagement et le plaisir au travail.
- Impliquer les collaborateurs dans la fixation des objectifs qui doivent être aussi des objectifs collectifs. Il ne s’agit plus d’imposer des objectifs mais de codéfinir les indicateurs avec les équipes. C’est ainsi qu’on les engage et les responsabilise. On appelle ces indicateurs des « OKR » pour Objectives, Key Results, qui sont définis pour des périodes courtes (trimestres) et revus régulièrement.
- Assurer un bon niveau de sécurité psychologique : la créativité, la collaboration et l’adaptabilité ne s’obtiennent pas sous la pression. Le droit à l’erreur est une composante essentielle de cette sécurité psychologique.
- Enfin, rester flexible et adapter le niveau d’agilité à l’entreprise : il n’existe pas de modèle ou de bonne façon de « faire de l’agile ». Prendre le temps car le changement se fait d’abord par des interventions à petite échelle, par expérimentation, en gardant l’esprit ouvert et la communication transparente.
Marion : Une vraie transformation qui prend du temps mais qui semble en effet s’imposer comme une nécessité face aux changements. Donc un vrai besoin et pas seulement une tendance ?
Patricia : Le management agile fait beaucoup parler de lui depuis quelques années. Aujourd’hui, il s’impose vraiment de plus en plus comme une nécessité face aux changements. Nous évoluons dans un monde et une économie complexes, volatiles, incertains, donc en mutation permanente (bouleversements technologiques, digitalisation, cycle des produits complexes, concurrence exacerbée...) ce qui exige des entreprises et du management beaucoup d'agilité pour s'adapter rapidement, être flexible, rebondir et prendre les bonnes décisions.
Alors ne nous trompons pas : dans un environnement en forte mutation, le mot d’ordre est le focus client. L’objectif est alors simple : créer des produits/services ayant une forte valeur ajoutée dans un laps de temps court. C’est dans cette optique que la notion d’agilité est devenue un impératif stratégique.
Une chose est sûre : l’effet mode est passé. La crise sanitaire d’abord et ensuite chacune des crises que nous sommes en train de vivre nous oblige, parfois sans le savoir, à être agile. Je dirai même qu’aujourd’hui, pour survivre, une entreprise se doit d’être agile.
Et puis, au-delà des crises, nous vivons aussi une rupture générationnelle avec cette génération Z qui a d’autres aspirations et attentes professionnelles : elle a besoin de sens et ne souhaite pas être rattachée à une organisation hiérarchique. Là aussi, l’organisation agile répond très bien et devient alors une nécessité pour accueillir et retenir ces nouveaux talents.
Marion : Alors, concrètement, quels sont les bénéfices de l’agilité pour l’entreprise ?
Patricia : L’agilité n’est pas une fin en soi mais un moyen extrêmement puissant pour faire face aux aléas et s’adapter en permanence. Il faut être agile et véloce pour être et rester performant.
Une étude récente (Mc Kinsey) note les 3 principaux bénéfices de l’organisation agile :
- Augmentation de 30% en termes de satisfaction client
- Augmentation de 20 à 30 % en termes d'engagement des employés
- Augmentation de 30 à 50 % en termes de performance opérationnelle
Marion : Nous comprenons bien les enjeux d’adaptabilité et de performance mais pouvez-vous nous livrer votre expérience sur l’impact positif de l’agilité sur la créativité et l’innovation ?
Patricia : Vous savez 80% des CEO de grands groupes sont unanimes : l’innovation est cruciale pour la croissance de votre entreprise et « l’innovation distingue les leaders des suiveurs ».
Tout comme dans le monde de l’art, au sein de l’entreprise, où la concurrence fait rage, la créativité joue un rôle essentiel, car elle permet de se différencier. C’est elle qui pousse les collaborateurs à trouver des idées novatrices et disruptives.
Et pour développer cette intelligence créative et ainsi pousser l’innovation, il faut libérer les paroles pour faire émerger les idées, les tester (dans une logique de « test and learn ») et ensuite les adopter si les résultats sont concluants.
Marion : Patricia, avec toute l'expérience que vous avez accumulée, quel conseil donneriez-vous à une entreprise sur le point d'entamer sa transformation vers un management agile ?
Patricia : Comme disait Sénèque « La vie ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie »
Je conseille de mener cette transformation progressivement, de manière itérative, avec des objectifs clairs et courts, avec des équipes engagées et désireuses de faire évoluer l’organisation. Le manager devient en quelque sorte « un chef d’orchestre » pour mener à bien les équipes vers le résultat recherché.
Marion : Donc une affaire d’hommes finalement ?
Patricia : Exactement Marion, c’est une affaire d’hommes et finalement toutes les valeurs portées par une organisation agile sont de très belles valeurs humaines que nous avons parfois eu tendance à délaisser sous le poids des technologies, ou encore par ego lorsque le rôle du manager était encore très impératif et directif. Laissons une grande place à l’écoute, à l’humilité et au collectif, c’est ainsi que nous avancerons vite et loin, avec ingéniosité et passion.
L’équipe de Morgan Philips Suisse tient à remercier chaleureusement Patricia Lemattre Stoeckel d’avoir accepté cette interview.