22/11/2022
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Liliane Bettencourt, Roman Polanski, Bernard Tapie, Jacques Servier, Gérard Depardieu, la banque UBS ont tous un point commun : leur avocat Hervé Temime. Avocat pénaliste depuis 1979, ancien secrétaire de la Conférence, Hervé Temime est intervenu dans de nombreux procès très médiatiques. Ténor du barreau surnommé « l’avocat des puissants » (expression qui l’agace) et un des premiers avocats à avoir développé le droit pénal des affaires en France, Hervé Temime a accepté de répondre aux questions de l'équipe Tax & Legal du cabinet de chasse de têtes Morgan Philips Executive Search.
D’où vient cette passion du droit pénal ? Dans quelle mesure est-elle toujours la même aujourd’hui ?
Hervé Temime. Il n’y pas vraiment de réponse à la question… C’est naturel, totalement spontané, presque malheureux par certains aspects. J’ai autant de passion et d’engouement qu’à mes débuts, et je n’ai aucune conscience de mon âge ! C’est incroyable à quel point cette passion est restée intacte, même si aujourd’hui ce n’est plus les mêmes dossiers qui m’intéressent.
Vous seriez stupéfait de constater à quel point ce que je vous dis est vrai au quotidien, parfois à mon grand dam.
Comment est-ce possible alors que de nombreux avocats témoignent de difficultés du métier : le rythme, la pression, l’anxiété etc. Qu’en est-il pour vous ?
H.T. Plus jeune, mon idole était l’avocat Emile Pollak. J’ai toujours grandi avec une phrase de son ouvrage La parole est à la défense : « J’ai vieilli en étant avocat sans jamais ressentir la fatigue d’un effort ». Certes, c’est un métier souvent fatiguant et difficile mais ce n’est pas un « effort ». C’est avant tout une chance extraordinaire, dans une vie, d’avoir eu une vocation réelle, très forte, de l’exercer et d’en vivre ! En dépit des tourments du métier, une des chances de ma vie a été d’avoir voulu être avocat et de l’être devenu. C’est un privilège exceptionnel !
Cependant l’exercice du métier n’est pas comparable à un plaisir auquel on s’adonnerait. Quand les gens vous disent que la plaidoirie est un moment de plaisir…Oui d’une certaine manière parce que c’est une parenthèse de liberté extrême dans l’exercice d’un métier qui consiste à défendre des gens pour obtenir des résultats… Mais ce qui caractérise le plus ce métier, c’est l’angoisse !
Comment définiriez-vous un bon avocat ?
H.T. J’ai travaillé sur l’histoire du métier, dévoré les livres des avocats de différentes générations, je me suis passionné pour un grand nombre de procès, j’ai essayé de comprendre et essaie toujours de comprendre ce qu’est le fait d’être avocat, de défendre. Or, pour moi être un bon avocat, cela se traduit avant tout par l’efficacité, des résultats et non par le côté spectaculaire de la défense même si les deux peuvent souvent se rejoindre. Par ailleurs, je ne connais pas d’exemple de bons avocats que j’admire qui soient ou qui aient été cyniques. L’image d’Epinal de l’avocat qui défend un jour quelque chose et le lendemain son contraire…
Il y a des avocats comme ça, ce ne sont pas de bons avocats ! J’ai une énorme confiance dans la jeunesse : la moyenne d’âge est relativement basse au cabinet. Pour être un bon avocat, je ne pense pas que la jeunesse soit un obstacle. Le manque d’expérience peut largement être pallié par l’envie de bien faire, l’engagement, la fraîcheur. Il faut faire place aux jeunes. Aujourd’hui, j’ai 65 ans et bientôt 44 ans de barreau, ce serait une aberration de tenir le haut du pavé !
Est-ce dans une logique de succession, de pérennisation de votre cabinet ou par souci d’efficacité que vous vous entourez de jeunes avocats ?
H.T. Pour le plaisir de la transmission : sans doute une forme de nostalgie de mes débuts extraordinaires, et probablement la meilleure période de ma vie d’avocat. Par ailleurs, j’ai appris que lorsqu’on veut pérenniser un cabinet au pénal, c’est plus facile pour le fondateur d’être entouré d’avocats relativement éloignés de vous en âge afin qu’ils ne se sentent pas écrasés.
Dans un métier de fort intuitu personae, comment avez-vous réussi à mettre en avant une équipe d’avocats et monter un cabinet de premier plan ?
H.T. C’est extrêmement rare aujourd’hui que le cabinet perde un client parce que je ne gère pas moi-même le dossier. J’aurais dû monter un cabinet bien plus tôt ! J’ai tardé et je le regrette. Je crois qu’à l’époque je voyais ça avec beaucoup de dérisions.
Dans le métier, le premier qui a vraiment eu l’idée d’avoir un cabinet structuré c’était Olivier Metzner, qui n’est plus là. J’étais d’un individualisme forcené dans ma pratique professionnelle. J’ai commencé jeune, je n’avais pas de patron, pas de compte à rendre… Mes idoles étaient des artistes dans l’âme ! René Floriot, le Dupond-Moretti des années 50-60, était une exception car il avait des collaborateurs qui lui préparaient ses dossiers, mais c’était le maximum. Le métier a changé mais tous ces avocats du passé n’étaient pas des gens qui pouvaient imaginer s’associer. Imaginez Charles Aznavour associé !
L’idée du cabinet structuré n’était pas préméditée. Après les débuts, une équipe d’avocats m’a rejoint et j’ai apprécié l’aide majeure que ces avocats m’ont apportée, pendant une période assez compliquée, avec des dossiers importants. J’ai compris que si je ne les avais pas eus auprès de moi, le cabinet aurait beaucoup souffert, ce qui n’a pas été le cas.
Après ça, l’idée d’un cabinet pérenne avec de nouveaux associés m’a paru tout à fait constructive.
Dans votre dernier livre Secret défense, paru en 2020, vous écrivez : « Notre faille réside souvent dans le fait que nous ne sommes pas des hommes d’action, les Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo sont rares » ...
H.T. J’ai toujours soutenu que la rhétorique des avocats était la meilleure !
Mitterrand, Sarkozy, Clinton, Tony Blair ou Obama, qu’on les aime ou pas, étaient des avocats. J’ai toujours préféré la rhétorique des avocats à celle des énarques - même s’ils ont de grandes qualités - et de très loin.
Les avocats ne savent faire qu’une chose : critiquer ! On n’est pas des bâtisseurs, on est des destructeurs. S’il y a un doute, il ne faut pas condamner ! Il y a forcément un esprit critique, une forme d’insoumission dans le métier d’avocat.
A vous entendre, il y a les avocats pénalistes et les autres ?
H.T. Il est vrai que je n’aurais jamais fait de droit si je n’avais pas voulu être avocat pénaliste. Je n’aurais jamais fait une autre spécialisation, ni un autre métier du droit.
Pour autant, j’ai travaillé avec de formidables avocats d’affaires comme Jean-Michel Darrois. Je n’aurais pas eu la capacité à exercer autrement la profession, à être le conseiller, l’éminence grise d’une grande famille, même si on me l’a parfois proposé. Je réponds avec humour, que chez l’avocat d’affaires il vaut mieux être à la place du client et chez l’avocat pénaliste, il vaut mieux être à la place de l’avocat !
Qu’est-ce que vous ont apporté les grands avocats que vous admirez et dont vous parlez encore beaucoup dans vos livres et interviews ?
H.T. Une sorte de fascination pour le métier ! J’ai développé une vocation forte en les écoutant dans les émissions de radio, de télévision, en lisant leurs livres. Tout ça vous inspire. Pour moi c’étaient des stars… Dans mon esprit, il n’y avait pas mieux que de faire ça. C’est pour cela que les avocats médiatiques jouent un rôle important.
Sauf exception, notamment lors de l’affaire Agnès Le Roux/Maurice Agnelet, vous avez toujours été avocat de la défense. Regrettez-vous de ne pas avoir plus souvent été du côté des parties civiles ?
H.T. Non. Si la défense des victimes est fondamentale d’un point de vue social et moral, ce n’est pas la même satisfaction, la même fonction. Cela n’a rien à voir.
Dans l’affaire Omar Raddad, Maître Henri Leclerc, reconnu pour son brillant parcours et son fort engagement, a été très critiqué d’être avocat de la partie civile. Qu’en aviez-vous pensé ?
H.T. J’adore Henri Leclerc, c’est LA référence. Un des meilleurs pénalistes de son époque. J’étais jeune mais je lui avais déconseillé de défendre la partie civile. Par affection, j’avais peur des conséquences et des réactions contre lui. Henri a beaucoup souffert de cette injustice, il n’y serait pas allé s’il avait été plus opportuniste mais il ne l’est pas. Dans cette affaire, il n’a fait que son métier et de manière très digne !
Vous écrivez : « Je peux rire de tout, de la mort, de la maladie sauf de la prison ». N’avez-vous pas le sentiment que les problèmes relatifs à l’état des prisons et à la surpopulation carcérale sont aujourd’hui passés à l’arrière-plan dans l’opinion publique française ?
H.T. Dans les années 80, il n’y avait aucune espèce de discussion politique sociétale autour de l’état des prisons, alors que l’état d’insalubrité des prisons était catastrophique !
Aujourd’hui la discussion existe, sur l’état des prisons et sur la surpopulation carcérale. Des mesures sont prises, mais il y a un populisme judiciaire qui s’est développé à l’extrême, quelque chose de terrible dans la société.
La théorie de Robert Badinter - qui était sensible à la question - est très juste. Il a parfaitement démontré qu’il est très difficile pour l’opinion, pour les citoyens et donc pour les politiques de concevoir que des prisonniers se voient réserver un sort meilleur en prison que des gens défavorisés en liberté !
Pour revenir à votre cabinet, pourriez-vous envisager d’élargir votre activité à d’autres expertises ? Quelles sont vos priorités ?
H.T. Nous avons une taille modeste au regard des cabinets d’affaires, vingt-cinq personnes. En revanche, s’agissant du pénal nous sommes de loin la plus grosse équipe en France et même peut-être une des plus importantes en Europe.
Si le développement d’autres expertises est envisageable (par exemple nous n’avons pas d’équipe Compliance), ce serait à une seule condition : ne pas perdre notre identité.
La force de notre cabinet c’est la culture pénale, la connaissance du combat judiciaire et l’indépendance qui va avec. Ce qui est le plus important pour moi aujourd’hui, c’est de m’occuper du développement du cabinet et des équipes qui travaillent énormément, avec un état d’esprit exceptionnel ! Ma fierté réside dans ce cabinet que j’ai construit, mon ambition reste aujourd’hui de recruter les meilleurs talents.
Justement, comment faites-vous pour trouver et attirer ces nouveaux talents du barreau ?
H.T.
Un : il y a un attrait considérable pour le pénal.
Deux : il y a un attrait considérable pour le droit pénal des affaires.
Trois : les meilleurs profils jeunes - je le tiens de mes amis grands avocats d’affaires - veulent davantage venir chez nous plutôt que chez eux. Avant, les plus brillants s’orientaient vers le M&A, désormais ils se dirigent vers le contentieux et si possible, le contentieux pénal.
Quatre : le cabinet - en très peu de temps - s’est institutionnalisé et est donc très prisé. Il y a une vraie possibilité de devenir associé. L’ambiance y est extraordinaire, il a chez nous une vénération du métier, une très bonne cohésion. Tout le monde travaille avec exigence et ambition, avec le sourire et sans objectif d’heures facturables.
Cinq : je repère les futurs talents lors d’audience, et jusqu’à maintenant, j’ai toujours eu beaucoup de pif !
Pour moi la bonne méthode c’est recruter des gens quand on en a l’opportunité et pas quand on en a besoin. Les jeunes comprennent alors quelque chose : ils n’ont pas été pris parce qu’on avait besoin d’eux mais parce qu’ils ont été choisis !
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes étudiants, élèves-avocats et collaborateurs/trices ?
H.T. Pour ceux qui choisissent cette profession d’avocat pénaliste, je voudrais juste leur dire qu’ils ont raison. Allez-y !
Pour moi, c’est un immense métier dont l’avenir est énorme : le droit pénal et la pratique de la défense pénale, c’est exceptionnel !
Une profession dont l’exercice est difficile mais très épanouissant.
Enfin, c’est un métier de lignée. Continuez à lire les livres des avocats, à écouter les avocats, suivez l’actualité judiciaire, écoutez des podcasts, etc. Je ne dirais pas mieux que le grand Jean-Louis Pelletier : « le meilleur d’entre nous n’est pas à la hauteur du métier ».
C’est un métier où les rêves sont en-dessous de la réalité !