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Interview Philippe Jaenada - « Alain Laprie est innocent, j’en suis sûr. »

Interview Philippe Jaenada - « Alain Laprie est innocent, j’en suis sûr. »

Philippe Jaenada met une nouvelle fois la littérature et sa plume au service de la vérité et de la justice dans un « J’accuse ! » contemporain dénonçant un système judiciaire qui « par manque de moyens et de détermination, se délite sous nos yeux dans l’indifférence générale ».

06/02/2023 Retour à tous les articles

Alain Laprie est innocent, j’en suis sûr. Mais peu importe, la présomption d’innocence prévue par le code pénal empêche de condamner une personne lorsqu’il existe un doute sur sa culpabilité. Or là, il y a plus qu’un doute. »

Philippe Jaenada met une nouvelle fois la littérature et sa plume au service de la vérité et de la justice dans un « J’accuse ! » contemporain dénonçant un système judiciaire qui « par manque de moyens et de détermination, se délite sous nos yeux dans l’indifférence générale ».

Lauréat du prix Femina pour « La Serpe » en 2017, il publie « Sans preuve et sans aveu », un récit poignant paru aux éditions Mialet-Barrault. Philippe Jaenada décortique avec son génie habituel et sa grande minutie l’affaire dite du « meurtre de Pompignac » à l’issue de laquelle Alain Laprie, 66 ans, neveu de la victime, a été jugé coupable et condamné en février 2020 par la cour d’appel d’Angoulême à quinze ans de prison ferme. Cette contre-enquête immersive met en lumière les nombreuses insuffisances et incohérences du dossier, une enquête qu’il juge bâclée et menée essentiellement à charge. Son intime conviction à l’issue de ces mois de recherche est sans équivoque : après seize années d’instruction : « un innocent est en prison ! » clame-t ‘il !

Philippe Jaenada a accepté de répondre aux questions de notre équipe Tax & Legal du cabinet de chasse de têtes, Morgan Philips Executive Search.

Vous ne souhaitiez a priori pas consacrer un ouvrage à un fait divers contemporain, pourquoi l’affaire de Pompignac ? Comment avez-vous rencontré Alain Laprie ?

Philippe Jaenada. (P.J.) J’ai fait sa connaissance en août 2021, à quelques jours de son incarcération. Il m’a été présenté par un ami libraire à l’issue d’une signature au Cap Ferret pour la sortie de mon roman « Au Printemps des Monstres ». Nous avons diné ensemble ainsi qu’avec une quinzaine de personnes ; j’étais assis face à Alain Laprie et son épouse, dépités mais incroyablement dignes. À cette époque, je souhaitais passer à autre chose, arrêter d’écrire sur les affaires criminelles, les faits divers mais j’ai été véritablement saisi par son histoire. Je me suis procuré le dossier d’instruction, je l’ai lu de la première à la dernière page et je suis tombé des nues !

Pouvez-vous nous résumer l’affaire et évoquer les principales incohérences et lacunes de l’enquête que vous avez identifiées à l’issue de ces mois d’enquête ?

P.J. Alain Laprie, entrepreneur, était très proche de sa tante, Marie Cescon, âgée de 88 ans, qui n’avait jamais eu d’enfants et vivait seule au nord de Bordeaux.

En 2004, cette « Tatie de Pompignac », comme l’appelait la famille, a été retrouvée morte à son domicile, dans un incendie, la tête ensanglantée. Alain Laprie a été accusé d’avoir tué cette tante, qu’il aimait beaucoup, à coups de bâton pour des raisons d’argent, un soi-disant différent lié à un testament, puis d’avoir mis le feu à la maison et ouvert les robinets de gaz de la cuisinière. 

En 2018, il a été relaxé en première instance à Bordeaux, mais en 2020, suite à l’appel du parquet, il a été condamné à 15 ans de prison ferme par la cour d’appel d’Angoulême, un coup de massue pour Alain et ses avocats.

Le problème, c’est que rien ne tient debout dans cette histoire ! C’est assez technique et j’y reviens point par point en détail dans le livre, mais plusieurs éléments sont édifiants dans la phase d’enquête et d’instruction. Quelques exemples parmi beaucoup d’autres :

Un mégot est retrouvé près du corps de Marie Cescon (Alain Laprie n’est pas fumeur, Marie Cescon non plus) et pourtant l’ADN inconnu retrouvé sur le mégot n’a pas été comparé à celui d’autres personnes en dehors d’Alain et des cousins. Rien n’a été fait auprès du voisinage ou dans son entourage.

Un autre élément clé : au moment où le feu a été déclenché, il est prouvé par la téléphonie qu’Alain Laprie ne pouvait être présent… sauf à imaginer que le gaz n’était pas ouvert et que le feu couvait depuis des heures. L’hypothèse devient rapidement un postulat de départ. Pourtant, les boutons de la gazinière étaient allumés – c’est avéré – et la bonbonne extérieure de gaz venait d’être changée. Un voisin, arrivé en premier sur les lieux affirme même à plusieurs reprises avoir aussitôt fermé le robinet de la bouteille de gaz – qui était donc bien ouverte au moment du départ du feu. On dira cependant au procès que cette bouteille de gaz était fermée et que le feu avait donc pu couver plusieurs heures ! Le gaz, c’est pour moi une preuve matérielle indiscutable de son innocence.

Un dernier exemple, le téléphone de Marie Cescon a été arraché pour qu’elle ne puisse alerter personne dans son agonie… mais un deuxième téléphone est intact à quelques mètres seulement du premier. Alain connaissait par cœur cette maison, il n’aurait pas pu l’oublier !

Quant au mobile (qui a d’ailleurs changé entre la première instance et l’appel), contrairement à ce qui a été dit, Alain n’était pas aux abois financièrement à l’époque. Il avait 50 000 euros sur son compte. Sa femme gagnait 4 000 euros par mois et il était propriétaire de deux appartements à Bordeaux. Par ailleurs, le montant de l’héritage de la tante était bien plus faible que celui évoqué dans l’instruction ; on est loin du soi-disant « jackpot » pour Alain, son héritier désigné.

Je pourrais continuer longtemps car les incohérences sont multiples, c’est révoltant. L’enquête a été menée uniquement à charge contre Alain Laprie pendant seize années. Comment peut-on imaginer contre toute raison que cet homme puisse potentiellement finir sa vie derrière les barreaux ?

Est-ce que vous pensez que cette affaire révèle un manque de moyens de la justice ?

P.J. Oui, bien sûr ! D’ailleurs j’ai changé point de vue à ce sujet. Pour moi une instruction de seize ans montrait justement que beaucoup de moyens avaient été consacrés à cette affaire.

Certes, l’enquête a été longue, cependant les moyens utilisés par les enquêteurs étaient les moins onéreux.

Je donne un exemple dans le livre, pour prouver que le feu a couvé, de simples expertises à l’ordinateur, avec des logiciels, ont été réalisées car moins chères… De la même manière, on ne peut que regretter que de plus amples analyses ADN - certes coûteuses - n’aient pas été réalisées pour en savoir plus sur cet ADN inconnu.

Êtes-vous convaincu de son innocence ?

P.J. Alain Laprie est innocent, j’en suis sûr. Mais peu importe, la présomption d’innocence prévue par le code pénal empêche de condamner une personne lorsqu’il existe un doute sur sa culpabilité. Or là, il y a plus qu’un doute.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, la CEDH a également rejeté le recours. Qu’espérez-vous aujourd’hui ?

P.J. Officiellement, tout est fini pour Alain Laprie. Notre seul espoir est la révision. Cette procédure n’aboutit que dans de rares cas mais son avocate Muriel Ouaknine Melki s’y consacre pleinement.

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